Développé avec Berta.me

    Photographe & Musicien
  1. Perspectives de Taupe

    Je me suis toujours senti en marge de l'homme qui s'affirme en coupant des arbres pour sortir de son état de sauvage. (Le mot "sauvage" vient de "silva", la forêt, et signifie originellement "habitant des bois"). Affronter la nature pour affirmer son humanité est un comportement fondamentalement autodestructeur, bien au-delà du péril écologique de notre époque. Les cultures amérindiennes placent l'homme dans une harmonie quotidienne avec la nature et nomment le ciel "père" et la terre "mère". François d'Assise devait être un sauvage lui aussi pour parler à ses frères animaux ou à ses sœurs les ombres et les fleurs...
    C'est la terre mère qui m'a profondément ému, comme un rêve de mon corps emprisonné dans ses habits, incertain de ce qui est en haut ou en bas, isolé de tout contact dans ses chaussures, privé des courants nourriciers et déconnecté du monde. J'aime les effleurements des algues, la douceur de la vase et les caresses de l'herbe haute. J'ai goûté étant petit au bonheur de se vautrer dans la terre, de se frotter contre les arbres, au plaisir de la boue qui s'infiltre entre les orteils, à l'odeur du sable dans des rêves ensoleillés. Et encore avant, je me prélassais nu dans un placenta chaud...

    Perspectives de Taupe

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  2. Les Indiens parlent des êtres malades, qui se couchent sur leur mère la terre, pour guérir ou mourir. "Quand nous sommes blessés, nous allons à notre mère et nous efforcons d'étendre notre blessure contre elle pour la guérir. Les animaux font de même, ils couchent leurs blessures sur la terre." Bedagi, de la nation de Wabanakis. Cela m'a fait divaguer, et de la même manière que j'ai toujours cherché à imaginer les méandres des racines d'un arbre, je me représentais les beautés de la forme de ces contacts. Souvent quand il neige, je joue à faire des empreintes immaculées, des fantômes blancs éphémères laissés par mon corps...
    C'est ce contact, cette empreinte naturelle et sage, le poids de cette union, les formes de ce don, de cet abandon, qui m'ont hanté longtemps comme une rêverie qui me connectait à la vraie vie, qui me rendait complice du sommeil et des rêves auxquels notre esprit s'adonne dès que nous lâchons notre verticalité identitaire, et livrons notre corps à la terre.
    "Mes jeunes gens ne travailleront jamais ; les hommes qui travaillent ne peuvent pas rêver, et la sagesse nous vient des rêves. Vous me demandez de labourer la terre. Dois-je prendre un couteau et déchirer le sein de ma mère ?" Smohalla des nez percés, fondateur de la religion des rêveurs.

    Perspectives de Taupe

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  3. Alors que j'imaginais ces formes et parfois même le parfum mêlé des fourrures et de l'herbe, du sang et de la terre ou de la bave et des pierres chaudes, m'est venue un jour l'idée voyante d'une vitre pour photographier le dessin des ces unions. Après une année de reflexion et de construction avec mon ami Olivier, ma cage vitrée était prête. C'est l'appareil photo et moi qui sommes dedans, comme au sein de la matrice "mère", le modèle se pose dessus, libre de ses appuis et de l'œuvre qu'il nous présente. La partie aérienne des créatures qui apparaît raconte cette ombre intime, cette signature charnelle et conjointe de la terre et du corps, et ressentie par les deux.

    Perspectives de Taupe

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  4. Je ne souhaite pas faire violence ou forcer les choses ; c'est pour ça que ne figure pas les dessous de la rumination d'une vache, la sieste d'un phoque, ni la chaleur d'une renarde et de sa portée, même si j'en rêve... Mais comment leur faire comprendre et les faire venir spontanément dans mon studio ? Il nous appartient de soigner notre amour et de propulser notre imagination.
    Dans ces photos, une forme est récurrente et joyeuse. Elle est due à l'écrasement, au poids de la chair sur la vitre, mais surtout à la nature humaine et à la vie elle même. Le rond : Un corps humain s'inscrit dans un rond, se lit dans un rond qui se divise en rond. C'est encore plus évident à l'intérieur du corps ; une cellule, un oeil, le cœur, le cerveau... Tout est composition de ronds, boules, cercles et sphères qui évoluent par cycles, et le viellissement semble être une lente perte du rond au profit des angles, sauf pour Buddha qui dans son accomplissement ressemble à un gros bébé. Donner la vie est aussi un acte circulaire, le chant des forces rondes, de la graine au ventre, de l'ovule à la poitrine... Accomplir le cercle : "...C'est parce que les forces du monde travaillent toujours en cercle et chaque chose essaie d'être ronde. Le ciel est rond et la terre est ronde et ainsi sont toutes les étoiles. Les oiseaux font leur nid rond parce qu'ils ont la même religion que nous. La vie d'un homme est un cercle de l'enfance à l'enfance..." Black Elk, guerrier et homme-médecine Oglala.
    Ces photos n'ont pas de titre, même si je leur donne parfois familièrement un petit nom. Elles invitent chacun à ses propres perceptions et sensations, et même le nom des modèles serait superflu et renverrait à des considérations anecdotiques. En revanche, je remercie de tout ce que je suis mes amis qui ont compris et soutenu ma quête en m'offrant les beautés de leurs empreintes, en m'offrant cette joie de la terre qui les reçoit. Merci à toi Emilie, Jojo, Quentin, Titi, Maman, Papa, Poufi, Owacja, Joé, Pao, Poupée, Danielle, Diane, Léontine, Fériel, Lisa, Baptiste, Ismène, Lola et Martine, Jeannot, Petit Oiseau, Rémi, Gracieuse, Natacha, Yok, Amata, vous appartenez à mon rêve.

    Sujet inédit (qui aimerait bien se voir), réalisé entre 2002 et 2010 en négatif couleur moyen format.
    30 tirages d'art encadrés et numérotés, format de 30x30 à 50x50.

    Perspectives de Taupe

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