Développé avec Berta.me

    Photographe & Musicien
  1. Épilogue . . .

    Danse moi jusqu'à rien

    Danse moi jusqu'à rien

  2.   Ateliers en prison, 2008 – 20020.
    ( Écrit en Avril 2022 pour accompagner la transmission de toutes mes archives à la BNF )

    Le premier « séjour » en détention s’est fait par hasard. On avait déjà fait quelques interventions dans des lycées techniques avec un concert comme finalité. On, c’était Bastien et Ptit-Gars, deux potes, et même à 2 reprises, Loran Béru (on jouait encore parfois ensemble sous le nom de « Amputé ») et Laurent, guitariste chanteur de « Mass Morderers » qui assurait la technique. Un copain de Bastien, animateur culturel à la maison d’arrêt de Amiens nous a proposé une intervention. J’y suis allé d’abord seul une journée, pour rencontrer les participants et préparer la semaine d’atelier. Choc. Énorme choc. Des personnes sensibles, cultivées, délicates, attentionnées et bienveillantes. Voilà ce que j’ai trouvé derrière le mur après avoir franchi les différents postes de sécurité et l’animosité d’un personnel pénitentiaire retors et aigri (cela n’a pas été toujours le cas heureusement).

    L’un des détenus (on s’appelle mutuellement « Renard » et on est toujours amis) est resté bloqué dans mes pensées. Il a pris 20 ans, puis 22 en appel parce que c’était jour de match de coupe du monde. France-Togo, personne ne voulait rater le début, et il est beaucoup plus rapide de sur-condamner que de réviser un premier jugement. Même mon ami a pu voir le match en direct et en cellule. Il était là depuis 8 ans déjà, ce qui est illégal puisque les maisons d’arrêt sont censées accueillir les prévenus et les peines de moins de deux ans.
    La semaine d’atelier eut lieu un mois plus tard, j’ai tenu comme je pouvais en préparant au mieux les choses. La semaine a été démente, un engagement incroyable, des textes très pertinents, et au final un super concert dans le gymnase de la prison où ils ont tout donné devant 150 codétenus déchainés (si j’ose dire) et un personnel pénitentiaire qui a eu l’intelligence de rester discret. J’avais passé 3 jours la semaine précédente à la Maison d’Arrêt des Femmes où j’avais enregistré des compositions originales avec soit des refrains, soit des couplets, qui ont été complétées par la suite du côté des hommes (tout contact direct est impossible) et interprétées au concert qui a été filmé et diffusé chez les femmes le lendemain. Ayant sympathisé avec le sous-directeur, j’ai pu faire transférer « Renard » dans un centre de détention où les cellules sont individuelles et ouvertes de 14 heures à 18 heures.

    Je suis rentré chez moi épuisé et comblé ; le lendemain matin je ne pouvais plus me lever. Impossible de trouver un sens à quoi que ce soit. Je faisais du théâtre, j’ai clashé avec la troupe. Mes petites velléités de photographe, balayées. La nature, rien à foutre. J’étais agressif et déprimé. Je n’étais pas capable de continuer avec la conscience de ces invisibles con-damnés de l’autre côté des murs. La dépression a duré deux ans. Je n’avais jamais connu ça, être tétanisé, couché, témoin d’un dialogue interne impuissant.

    Une nuit, j’ai fait un rêve qui a tout changé. J’ai rêvé d’une façon très précise des ateliers en détention comme je les ai mis en œuvre par la suite. Au réveil, j’ai tout écrit (c’est la proposition qui figure tout en haut de cette section), puis fouillé sur le net à la recherche d’interlocuteurs concernés et j’ai posté 120 dossiers. Une dizaine me sont revenus pour destinataire inconnu, j’ai reçu 2 coups de téléphones aimables mais de refus, mais 6 mois plus tard, est arrivé un premier retour exigeant mais positif du coordinateur culturel du centre pénitentiaire de Fresnes qui avait exhumé mon pedigree et était proche de la mouvance libertaire. Il y a eu une première cession, puis une autre, puis des nouveaux contacts, des recommandations… , c’était parti pour une dizaine d’années. 

    « Je regardais le bâtiment massif avec un sentiment d’affectueuse reconnaissance. Une civilisation trahit sa pourriture par de curieux symptômes ; dans le fait, par exemple, que les murs de pierre des prisons ne servent plus à défendre la société contre le prisonnier, mais à mettre le prisonnier à l’abri de la société. »

     Arthur Kooestler, Dialogue avec la mort, 1937

    Le matin, j’arrive à l’aube, entre 6 et 7 heures alors que je ne peux pas entrer avant 8 heures au plus tôt. J’ai besoin de flairer les lieux, regarder les murs et le jour se lever entre les miradors. Je pense à eux en cellule cherchant à racoler des bribes de rêve pour échapper à l’hostilité régnante, roulant le premier bédo, ou se bouchant les oreilles avec de la mie de pain pour s’épargner des cris et des claquements de grilles à l’heure où le personnel de jour vient reprendre possession des lieux. Je fais le tour de l’enceinte, puis, sur le parking je fais souvent un message à mes filles et je regarde les surveillants arriver et partir. Eux aussi m’interpellent ; j’ai souvent eu l’impression qu’il y avait deux sortes de détenus, ceux qui ont un uniforme et ceux qui n’en n’ont pas.

    Un matin de Février 2014, en m’approchant de la Maison d’Arrêt de Osny, je vois de loin des flammes et de la fumée, je pense qu’il y a eu une  mutinerie ou une évasion avec incendie ; pas du tout ! C’était une manifestation et un blocage de la prison par les surveillants. Il faisait encore nuit, et ils brulaient des palettes et des pneus devant l’entrée après avoir décoré les accès de banderoles réclamant des meilleures conditions de travail (tout à fait justifiées). Au dessus de l’entrée des véhicules on pouvait lire «  Bienvenu au club Med ». Il faisait très froid, je me suis approché du feu, ils étaient une cinquantaine autour à l’alimenter et à se réchauffer. Tout à coup j’entends «  hey les gars, il est là, un deux trois quatre, - et tous ensemble - les matons rebelles brulent des poubelles, ce soir c’est la fête.. »  Incroyable… Je ne parle jamais des Bérus en prison, je fais le gentil sur la lune, et voilà, j’étais grillé. On a fait des photos devant le feu et les banderoles, puis à 7 heures tout s’est arrêté et chacun a repris son poste.

    Parfois avant d’entrer je vais boire un café au mess, puis, de retour à mon fourgon je me concentre, j’éteins et range mon téléphone, je prends ce dont j’ai besoin, j’enfile ma panoplie mentale couleur sourire de transparent à toutes les agressions et suspicions du personnel, et je me présente avec ma CNI et mon laissez-passer à la première porte. S’en suivent, quand tout va bien, plus ou moins 15 minutes de validation de mes affaires, portiques, vérifications des listes et fouille de mes sacs. Après, c’est la grande traversée vers ma salle ponctuée d’autres grilles sujettes au bon vouloir des surveillants. Ceux ci sont toujours cachés derrière des vitres blindées et tintées ; je pense avoir dit bonjour plus de 1000 fois à personne! On ne comprend jamais ce qu’ils disent quand ils parlent à cause de leur accent d’outre mer le plus souvent (d’outre tombe parfois), et de l’acoustique déplorable mêlant résonance, hurlements, acronymes mystérieux et un ton agressif qui s’adresse surement à quelqu’un d’autre…  

    Le lundi matin j’arrive avec énormément de choses, mon fourgon est plein de matériel, et ces formalités sont très longues. Je dois justifier tel article normalement interdit (ordinateur, enregistreur, bouilloire et café, …) alors que cela figure sur ma liste validée en amont par la direction, je dois tout porter, démonter les amplis qui ne passent pas sur le tapis de détection, essayer de disposer d’un chariot, solliciter un coup de main, expliquer la nécessité de ci ou de ça,  Il y a des escaliers, des cours pavées, c’est toujours une épreuve et mon dos ramasse. Le vendredi en fin de journée, c’est la même, souvent un peu moins chargé, mais épuisé et déconcerté de quitter ces personnes brutalement et de les abandonner là.

    Les autre jours, le matin et à 13h30, j’ai un petit sac avec quelques affaires personnelles, et 2 sacs à course pleins de livres que je donne à la bibliothèque, parfois aux profs que je rencontre, ou directement aux détenus. C’est interdit, je dois introduire ça en douce, même si j’ai souvent eu du soutien pour le faire. La directrice de Réau m’a aidé à porter mes 30 kilos quotidien alors que j’étais bloqué au contrôle, le chef de détention de la MAF de Fresnes me les faisait passer en gros et a même fait à ma demande un courrier officiel pour remercier les librairies qui me les donnaient. (il en piquait quelques uns au passage et tant mieux. Si il les avait tous lu, il oublierait volontairement parfois de verrouiller certaines portes). Je rentrais aussi des dictionnaires, des encyclopédies et des manuels scolaires. Les bibliothèques en prison sont souvent choyées par l’auxi qui s’en occupe, mais reçoivent très peu de livres et n’ont aucun soutien de la pénitentiaire qui n’y voit qu’un lieu marginal qui suppose des déplacements de détenus et d’éventuels liaisons et trafics. En 2019, le directeur de la centrale de Saint Maur a fait retirer de la bibliothèque tous les livres de philosophie… 

    Á part ça, dans mes poches, comme je ne suis pas fouillé au corps sauf si je sonne au portique, il y avait aussi des gâteaux et de l’herbe que je faisais pousser dans mon jardin pour eux. Je la donnais à l’intérieur par petite quantité, heureux qu’ils fument quelque chose de naturel élevé pour eux en altitude (je ne fume pas). Presque tout le monde consomme en prison, c’est interdit, mais toléré parce que ça calme les esprits et fabrique un outil de pression facile aux surveillants pour s’affirmer et sévir.
    Il suffit d’une courte fouille, lui prendre son matos, rédiger un CRI (compte rendu d’incident), et hop, privé de sport, d’école ou de parloir. (La peine des familles est une énorme « double peine » officieuse mais entretenue. Les détenus mal vus sont toujours incarcérés loin des familles). Il en va exactement de même avec les téléphones portables sauf que ceux ci concernent vraiment tout le monde et permettent en plus à la pénitentiaire des écoutes illicites. C’est moche tout ça. C’est le quotidien avilissant des uns et des autres en plus des heures entassés en salle d’attente pour les détenus et les réprimandes permanentes des gradés sur les surveillants qui participe à cette tension continue et organisée. J’ai quand même souvent rencontré une personne bienveillante et lucide qui portait l’uniforme, mais toujours celle-ci devait rester très discrète avec sa cordialité et son respect des détenus pour ne pas se faire pourrir par la « meute » ! Les détenus sont les premiers à protéger ces personnes de leur propre confrérie, et avec beaucoup d’habilité.

    Á Fresnes, j’avais ma salle, la H en 3ème Div. Nord. Tout au fond de la prison à gauche. La 3ème Div. est une poubelle ; on y met les raclures, les sans papiers, les apatrides, les Basques, des braqueurs, des vieux perdus, des DPS (Détenus Particulièrement Signalés) et quelques fameux délinquants comme les escrocs à la taxe carbone. Ceux-ci ont d’ailleurs largement amélioré les conditions de détention jusqu’à ce que le directeur de la Division, qui touchait gros, se fasse arrêter par la police un matin à 8 heures et menotté au milieu de la coursive sous les huées et les cris de joie des pensionnaires. Un grand moment, avec un sentiment de justice paradoxal en ces lieux. Les cellules de ces richissimes détenus restaient ouvertes, ils distribuaient des iPhones aux autres, décidaient qui ne devait pas être fouillé à la sortie d’un parloir, etc etc …

    Dans d’autres établissements je me suis souvent un peu égaré avant de trouver ma salle. Ces moments de déambulation ont été très nourrissant, je dévisageais la laideur des lieux, je regardais les promenades, les guirlandes de yoyos qui pendouillent partout, les auxis au travail, des détenus en transfert, les rats et quelques sourires quand c’est possible. Une fois arrivé, j’installe le matériel en faisant un coin studio d’enregistrement, je déplace les tables pour faire un grand cercle à coté, j’y dépose des livres et de quoi écrire et dessiner, et sur une table à part je dispose un petit déjeuner de qualité avec thé, café de marque, du miel, des gâteaux, le tout sur une nappe Vichy rouge et blanche. Cette nappe à souvent été cause du premier regard surpris d’un nouveau participant à mon atelier. Ça n’existe que chez la grand-mère ou dans un souvenir de pique-nique au bled. En prison c’est un motif extra terrestre intime.

    Les participants arrivent petit à petit, se connaissent parfois, je me présente et expose mes intentions, on partage… Je n’ai pas de mode d’emploi, je m’adapte et m’expose aux personnes présentes. Souvent je retrouve quelqu’un que j’ai déjà rencontré dans un autre établissement, c’est terrible, c’est comme si la vie est arrêtée pour certain alors qu’elle grouille pour moi, mais ça facilite beaucoup la confiance que vont m’offrir les autres qui ne me connaissent pas. On parle de tout, je dis que la seule chose que je ne veux pas savoir c’est pourquoi ils sont là ; tout le reste me passionne autant qu’ils le veulent bien. Souvent on fait un portrait chinois (Si j’étais…) qui permet à chacun de se présenter de façon imagée, et moi d’avoir un aperçu de la langue utilisée et des capacités d’écriture et d’expression. Puis je mets un premier son ou l’un d’eux touche une guitare ou me réclame une musique particulière ; et c’est parti pour 5 jours … J’ai tout raconté au masculin, mais c’est pareil (et jamais pareil de toutes façons) chez les femmes, si ce n’est qu’elles ont en général beaucoup moins de barrières ou de représentations à outrepasser. Il est parfois un peu laborieux chez les hommes de dépasser ce rôle de lascar qu’ils défendent âprement. Je sais que le non-sens aberrant et la violence de la prison les oblige à être comme ça, à brimer tout ce qui relève du sensible, à devenir pire et récidiver puissance 1000 ; il y va de leur dignité. Les femmes sont plus intelligentes dans leur guerre pour tenir. Sur la sexualité par exemple. Elles utilisent plus de préservatifs que les garçons (elles en recouvrent des objets arrondis fabriqués en atelier ou en promenade) et s’arrangent entre elles sans qu’il y ait de jugement de la part des autres. Impensable chez les garçons qui souffrent devant leur lavabo dans le recoin toilette sans porte de la cellule sous le regard des 3 autres co-détenus.

    Ma proposition n’est pas du tout réaliste, il faut au moins une année à un groupe de musique confirmé pour pondre un album de 12 titres. Nous, on a fait entre 30 et 90 morceaux à chaque fois, et jamais une reprise. Après ces 5 journées, il est vrai qu’il m’en faut 12 à la maison pour trier, choisir, optimiser et mixer ce que j’ai enregistré et pouvoir leur donner un vrai CD accompli dont ils soient fier d’avoir tout fait, de la pochette aux paroles et de l’interprétation. Cette fierté est l’un de mes buts inavoué ; je m’applique autant que je peux à revaloriser le regard qu’ils portent sur eux même alors qu’ils sont dénigrés en permanence. Autre faute grave de ma part, je propose et ils en ont souvent profité, d’envoyer ce CD à la famille ou à un proche. C’est une énorme récompense pour moi quand ils me demandent de le faire. 

    Je ne me sens pas capable de faire le récit écrit de toutes les merveilles humaines et musicales que j’ai eu la chance de vivre. Je pense que la prison est le miroir sans fard ni masque d’une société, et que la violence, la détresse, la détermination et les manques que j’ai enregistré sont le reflet exacte de cette décennie 2010 - 2020. J’ai été instrumentalisé contre la radicalisation par des directives du ministère. Bien évidement, je prônais l’engagement, mais je m’attardais longuement sur la liberté, le libre arbitre, l’indépendance, l’autonomie, le rejet de toute autorité ou fatalisme, la désobéissance vertueuse et la remise en question comme postulat permanent du réveil au coucher. Je défend le doute contre les certitudes, je préfère nos contradictions à l’intégrisme, je hais les entreprises vénales qui commercent sur les interrogations philosophiques ou spirituelles de la nature humaine.

    J’étais payé, jamais par la pénitentiaire, mais par l’association ou la fédération qui a en charge les activités culturelles en détention. Je signais une convention avec un forfait pour X heures d’ateliers à une date précise. J’ai compté une fois mes heures réelles, mes déplacements, les fournitures et tout ce que j’apporte en détention. Au final, je gagne 3,40 euros de l’heure, ce qui est le salaire en atelier pour les détenus qui ont l’opportunité de pouvoir travailler. C’était parfait pour moi et je suis resté sur ce type de budget. Je suis farouchement contre tout jugement (sauf envers soi même) et je n’ai pas une âme de délateur, mais j’ai été régulièrement très énervé par des compagnies de théâtre qui prenaient 4000 euros pour une représentation en détention suivie d’un débat et se glorifiait après de faire du social, ou certaine association comme « le vent se lève » qui accapare la plus grosse part possible des budgets pour des projets merdiques et sans suite mais bien présentés. (ça ne me fait même pas du bien de balancer tellement je suis dégoûté) !

    J’ai fait mon dernier atelier en août 2020 à la centrale de Saint Maur. Il a été exceptionnel à tous niveaux. J’avais fait une pause après en avoir fait trop, je me sentais moins bon, moins étanche à la pénitentiaire, je ne supportais plus les humiliations et les violences auxquels j’assistais. Par ailleurs, en maison d’arrêt, je me suis retrouvé incapable de motiver sans user d’autorité une nouvelle génération de détenus très jeunes qui sont là comme en colo, très content, avec autant de potes à l’intérieur qu’à l’extérieur, le cerveau imbibé de shit et de pitoyables rêves de consommation. L’idée que je pouvais éventuellement leur apporter quelque chose était une blague, et ils venaient le plus nombreux possible  juste pour boire des cafés, dealer, ricaner ou régler un compte. J’étais prétexte et garant  d’un super moment pour eux. C’est très rare et précieux en prison, mais je souffrais intérieurement de ne pas pouvoir donner bien plus. Je cherchais une faille, presque une détresse à panser, c’est ridicule. J’étais mal de ne pas réussir à les révolter, à leur faire comprendre que la société les a fabriqué, puis jugé, et que eux s’infligeait une 3ème condamnation  à ne penser que Porsche Cayenne ou billets violets. Malmené par ces constats et le sentiment de ne plus être à ma place en prison, j’ai considéré ce magnifique atelier en Centrale comme un cadeau d’adieu, j’ai refoulé la culpabilité d’abandonner ces personnes qui ne sont personne, et décliné les propositions qui ont suivies. 

    J’espère que les larmes et les rires, les maladresses et les beautés résonnent encore haut et fort,  et que ces témoignages participent à l’éradication de cette institution contreproductive et barbare. 

    Il y a plein de choses dont j’aurais voulu parler, de l’hypocrite « Droit à l’oubli », de comment la censure peut devenir un outil de pertinence, de la perpétuité déguisée (j’ai eu plusieurs participants enfermés depuis plus de 35 ans), des ÉRIS et de l’emploi de la terreur, des médicaments si généreusement distribués (sous forme sublingual pour éviter les suicides et réserver leurs commerce), du lien étroit entre la dignité et la nourriture et de l’ingéniosité incroyable de ceux qui refusent la gamelle et préparent des bonnes choses, de ce qui se passait en atelier, des moments d’écoute incroyable, des moments de communion, de possession, du partage, de la confiance, la solidarité, et de la force mentale surnaturelle à laquelle j’étais confronté. Je n’oublie pas les oubliés, croisés chaque jour sur un mouvement, un blocage ou une extraction, ceux qui n’ont pas droit aux ateliers ou qui refusent de sortir de cellule, qui ne parlent pas français, n’ont pas de parloir, aucun pécule et la puanteur corporelle comme seul bouclier. Je n’oublie pas ceux qui ont commis des crimes sexuels qui sont la cible unanime de tous les détenus, ni mes propres contradictions et pulsions en présence d’un imam condamné pour 24 viols de jeunes garçons dont le fils de mon meilleur ami. Je n’oublie pas les rats, les poux et les puces, ni ces surveillants qui cumulent les heures et dorment dans leur voiture sur le parking faute de budget pour rentrer chez eux, et doivent dans ces conditions supporter l’agressivité légitime des détenus et une pression odieuse de leurs gradés, eux-mêmes à la merci du chef de détention qui est le défouloir du directeur de division. Ce monde carcéral est une honte pour lui même et pour nous tous, et se cache. Ce constat ne remet pas en cause la nécessité de structures bienveillantes de protection pour des personnes dangereuses pour les autres ou pour elles mêmes.

         mastO

    Couloir central de Frsnes Photo Henri Manuel, commande du ministère de la justice réalisée entre 1921 et 1931

    Couloir central de Frsnes

    Photo Henri Manuel, commande du ministère de la justice réalisée entre 1921 et 1931


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